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CENTRALES 911 :

 LA GÉOLOCALISATION DES APPELS CELLULAIRES MOINS PRÉCISE QUE SNAPCHAT

La capacité des centres d’appel 911 à localiser précisément un appel est « grandement surestimée » au Québec. Selon des experts en géomatique, la technologie serait moins développée que la carte de l’application « Snapchat ». Un manque de précision qui peut mener à des délais d'intervention « fatals », surtout en régions éloignées. 

Par Victoria Baril et Edouard Dubois

Le simple fait de posséder un téléphone cellulaire n'est pas suffisant pour que les services d'urgence vous trouvent.

Selon Anthony Journeault, professionnel en géomatique, il existe une confiance aveugle envers les nouvelles technologies qui peut mener à un faux sentiment de sécurité chez les Québécois. 

 

«Les gens surestiment la qualité de ce qu’on fait en ce moment niveau localisation», signale-t-il.  

 

M. Journeault a travaillé en géomatique pour le ministère de la Sécurité publique du Québec. Durant cette expérience, le géomaticien a constaté des lacunes dans le service de géolocalisation des centrales 911. 


La carte de l’application Snapchat, qui permet aux utilisateurs de voir la position de leurs amis dans le monde, est plus précise, selon l’expert. 

 

La « Snapmap » n’utilise pas la position GPS, mais la  « Fuse location », explique Anthony Journeault. La « Fuse Location » est une combinaison de positionnements obtenus par le Wi-Fi, les tours cellulaires et le GPS. Pour qu’une application utilise ces données, les utilisateurs doivent donner leur autorisation. 

 

Les centres d’appel 911 n’ont pas accès à toutes ces sources d’informations, explique l’expert.

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Comment les services d’urgence vous localisent ? 

Les rayons vus par les répartiteurs (images fournies par Maxelle Jacques) 

Des rayons énormes

Selon Léa-Ly Roussel, il peut y avoir une incertitude de 500 mètres lorsqu’un appel est localisé par trilatération. 

 

Un énorme manque de précision, d’après Anthony Journeault. « Essayez de trouver un objet ou une personne dans un rayon de 500m en ville avec les bâtiments, ou même en forêt… c’est impossible », déplore-t-il. 

 

Maxelle Jacques, répartitrice au centre de communication santé de la capitale, qui répartit notamment les ambulances dans la région de la Capitale-Nationale, doit composer quotidiennement avec ce défi. 

 

« Parfois le rayon est énorme, ça devient plus complexe. On y va par Google street View, on fait un peu ce qu’on peut, on cherche sur google, on texte des amis qui habitent dans le secteur, on s’organise comme on peut pour localiser la personne », décrit-t-elle.

 

En ville, Mme Jacques n’a pas trop de difficulté à localiser les appelants, mais elle admet qu’« en région, c’est moins précis. »

 

« Ça dépend quelle tour ton cellulaire capte, dit la répartitrice. Ce n’est pas toujours précis, car parfois, les tours cellulaires sont assez loin d’où tu es réellement. »

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Maxelle Jacques, répartitrice à la centrale de communication santé de la capitale

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Si vous êtes connectés au réseau Wi-Fi, les répartiteurs pourront connaître votre emplacement de manière très précise, comme le fait la « Snapmap ».

 

C’est parce que les réseaux Wi-Fi ont des positions physiques faciles à retracer. « Si on sait que le Wi-Fi est à un endroit vraiment précis et que toi tu es à deux mètres de ce Wi-Fi, ta position devient super précise aussi », explique Anthony Journeault. 

 

Toutefois, vous n’êtes pas toujours connectés au Wi-Fi lorsque vous contactez le 911.

1. Wi-Fi

Si vous appelez au 911 avec un téléphone filaire, les centres d’appel sont capables de localiser précisément l’adresse de la résidence associée à ce téléphone. 

Là où c’est plus compliqué, c’est lorsque vous appelez avec un téléphone portable.  « Si vous appelez avec votre cellulaire, aucune donnée n'apparaît dans les bases de données », explique Éric Lévesque, conseiller en communication pour le Syndicat de la Fonction Publique du Québec (SFPQ)

Les répartiteurs passeront alors par trois étapes pour vous repérer.

Des conséquences fatales 

En 2017, Pierre Thibault et Michael Fiset, alors âgés de 33 ans et de 42 ans, sont morts asphyxiés dans une camionnette à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, près de Montmagny, en attendant les secours.

 

Bien que plusieurs facteurs ont contribué aux délais d’intervention des autorités, l’un d’entre eux a été la difficulté à localiser la camionnette ensevelie sous la neige, indique le rapport du coroner.

Cette journée-là, une violente tempête s’abattait sur la région. Le coroner mentionne que, vers 2h15, les policiers sont arrivés à pied dans le secteur où devait se trouver la camionnette. Comme la tempête faisait toujours rage, ils n’ont pas trouvé le véhicule, même après de longues recherches. 

« Ils obtiennent la localisation GPS du véhicule à 4h18, mais le rayon de localisation est de 59 mètres », précise le rapport. 

Ce n’est que vers 7h50 que les policiers ont enfin retrouvé le véhicule « enlisé et recouvert d’environ un mètre de neige. » 

Les corps des deux hommes ont été extirpés du véhicule 18 heures après le premier appel de détresse. 

 

Un an après le drame, les familles des victimes ont fait une sortie publique pour dénoncer, entre autres, les problèmes de géolocalisation survenus pendant l’incident. 

« On n’a pas réussi à géolocaliser les deux personnes

avant 4h du matin, alors qu’ils étaient munis de

cellulaires », a déploré Me Marc Bellemarre, l’avocat

représentant la famille de Pierre Thibault, en 2018.

« Ils avaient contacté le 911 à plusieurs reprises.

Ce n’est pas normal que la géolocalisation n’ait pas été

effectuée plus rapidement que ça », a-t-il avancé. 

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« Ma fille serait morte » 

Mireille Pineault a eu la peur de sa vie le 29 janvier dernier. Sa fille a subi un accident sur la route 172 entre Chicoutimi et Tadoussac. Après avoir fait des tonneaux, l’automobile est tombée dans une rivière bordant la route. 

La fille de Mme Pineault a eu de la difficulté à rejoindre les secours avec son cellulaire. Puis, une fois que la communication a été établie, les services d’urgence ont eu du mal à trouver la voiture accidentée. 

Sur cette portion de la route, les victimes n’avaient ni le Wi-Fi, ni le réseau cellulaire. 

« Zéro communication n’a pu être établie sur les lieux de l’accident », déplore la mère en entrevue avec l’équipe de Sous la loupe. 

 

Lorsque sa fille et ses amies ont réussi à sortir du véhicule, elles ont été aidées par un automobiliste, qui a amené les jeunes filles un peu plus loin, dans un secteur où la fonction « SOS » de leur téléphone a fonctionné. 

Les autorités ont donc réussi à récupérer les jeunes filles, mais leur voiture accidentée est restée dans un fossé près de la route 172.

« Les urgences savaient à peu près où était la voiture, parce que ma fille et ses amies ont été capables de dire à la centrale que la voiture était entre le 47e et le 48e kilomètre. Ils avaient un kilomètre de jeu pour trouver la voiture qui n’était pas visible de la rue », résume Mme Pineault. 

 

Si sa fille n’avait pas pu sortir du véhicule pour aller chercher de l’aide, elle aurait pu mourir d’hypothermie, estime la mère. Cette dernière déplore que la technologie ne soit pas plus avancée. 

« En tant que parent, tu t’imagines la scène de ton enfant qui est en train de mourir de froid, qui appelle les secours et que personne n’arrête parce qu’on ne voit pas la voiture du bord du chemin. Ma fille serait morte juste parce qu’elle ne pouvait pas rejoindre les urgences ? Moi, ça me glace le sang. »

Maxelle Jacques était au travail lors de l’accident. Elle se souvient que l’absence de réseau dans le secteur a compliqué la géolocalisation de la voiture. « Heureusement, les ambulanciers connaissaient le secteur », dit-elle. C’est comme ça que l’automobile a été trouvée, quelques heures après l’accident. 

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L'état de la voiture après l'accident (Mireille Pineault, via Facebook)

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La rivière dans laquelle la voiture s'est écrasée (Mireille Pineault, via Facebook). 

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Au Québec, plusieurs municipalités n’ont pas encore accès au réseau cellulaire. Sur cette carte, les zones rouges ont un bon service et les citoyens peuvent rejoindre le 911 facilement. Moins la couleur est foncée, moins la couverture cellulaire est efficace. Dans les secteurs en blanc, il est impossible d'appeler au 911 avec un téléphone portable. . 

Des régions plus à risque que d’autres

Carte tirée du site internet d'IGO (ministère de la Sécurité publique du Québec)

Près de La Tuque, une large portion de la route 155 n'est pas du tout desservie par le réseau cellulaire. 

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Dans la municipalité de Trois-Rives (zone bleue pale sur la carte de droite), en Mauricie,  aucune antenne cellulaire n’a été installée jusqu’à présent.

 

Sa mairesse Lise Roy Guillemette dénonce la problématique.

«Je pense à la sécurité d’abord et je dois dire que cette situation est de plus en plus inquiétante, compte tenu du grand nombre de villégiateurs, d’un sentier de motoneige, etc., sur notre grand territoire», déplore la mairesse par courriel. 

La couverture cellulaire est presque inexistante dans le centre de la Gaspésie, un territoire prisé par les amateurs de plein-air. 

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Dr Richard Fleet, titulaire de la chaire de recherche en médecine d'urgence à l'Université Laval 

Trois fois plus de chances de mourir

« Au Canada, ce n’est pas les riches versus les pauvres, les écarts ne sont pas là en santé. Ils sont beaucoup dans les régions rurales versus urbaines », dit le Dr Richard Fleet, titulaire de la chaire de recherche en médecine d’urgence à l’Université Laval.

 

Le médecin conduit une vaste recherche sur la mortalité des accidentés.

Il a découvert qu’au Québec, une victime d’un événement traumatique en région rurale a trois fois plus de chances d’en mourir qu’une victime en région urbaine.  

Plusieurs facteurs expliquent ce degré de mortalité plus élevé, mais les longs délais pour repérer la victime en font partie.

 

« Géolocaliser, c’est la première étape », accorde le Dr Fleet. « C’est un sérieux problème qui s’inscrit dans une série de failles dans notre système d’urgence en régions rurales et éloignées au Québec. »

 

Médicalement, la première heure après un accident est d’une importance capitale pour sauver une victime. Il s’agit du concept de Golden Hour en traumatologie, explique le Dr Richard Fleet.

 

 

« C’est un concept d’une heure. On a remarqué que, lorsqu’on dépasse ce temps-là, il y a des conséquences sur le plan de la morbidité et peut-être sur le plan de la mortalité », dit  M. Fleet. 

 

 

Le traumatologue déplore les défaillances techniques dans le système de géolocalisation au Québec. « Malheureusement, les technologies dans les régions rurales arrivent vraiment plus tard, et pourtant, ça devrait arriver plus vite », soulève le médecin. 

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Anthony Journeault, professionnel en géomatique

Léa-Ly Roussel, analyste-programmeur, ministère de la Sécurité publique du Québec

Des outils sous-financés 

Le NG911, ou 911 nouvelle génération, est un système d’exploitation qui est déjà implanté à certains endroits aux États-Unis. 

 

Il permettrait notamment d’envoyer des « textos », des vidéos et des photos aux services d’urgence. Des informations qui seraient certainement utiles au repérage des victimes, selon Maxelles Jacques, répartitrice. 

 

« Si tu nous envoie une photo d’où tu es, c’est plus facile pour nous de te trouver ou à la limite de l’envoyer à quelqu’un qui connaît le secteur », dit-elle. 

 

Le CRTC a ordonné en 2017 la mise en place de ce système, mais la cible de 2020 a été repoussée indéfiniment après la pandémie.   

 

En Ontario, le gouvernement a annoncé un investissement de 208 millions $ pour la transition vers le NG911 en avril 2022. Au Québec, aucune annonce de la sorte n’a été faite. 

 

Maxelle Jacques, Anthony Journeault et Léa-Ly Roussel s’entendent. Le gouvernement doit investir pour une implantation rapide du NG911 dans la province. 

 

Mais même les outils déjà implantés manquent de financement selon eux.

C’est le cas de l’application IGO (Infrastructure Géomatique Ouverte), une base de données géomatiques fondée en 2015 par la ministère de la Sécurité publique du Québec. 

 

L’application procure une carte détaillée du Québec avec une tonne d’informations sur les éléments physiques du territoire québécois (territoires agricoles, écoles, casernes d’incendie, villages, etc). Les répartiteurs peuvent se servir de ces repères physiques pour trouver un appelant. 

 

Actuellement, seulement quatre étudiants, incluant Léa-Ly Roussel, travaillent à l’intégration des données pour l’ensemble de la province du Québec. « C’est insuffisant », selon M. Journeault. 

 

L’ex-employé du ministère de la Sécurité publique croit qu’il y a un grave manque de ressources dans tout le système de géolocalisation 911 au Québec.

 

« Moi je pense que le jour où votre proche fait un arrêt cardiaque, qu’on prend une minute de plus à le trouver et que ça a de gros impacts, vous allez-vous dire, j’aurais aimé ça que le 911 ait le maximum d’investissement, et on n’est pas du tout là. »

 

Il y a encore beaucoup de chemin à faire, convient Maxelle Jacques.  « Plus de tours cellulaires, plus de manières de géolocaliser les patients, peut-être une sensibilisation à faire auprès des gens, dit-elle. On a bien beau dire que le gouvernement doit investir plus, je crois aussi qu’on peut sensibiliser la population. Quand on appelle le 911, il faut savoir où on est et il faut répondre à nos questions. »

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@LoupeSous 

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@souslaloupe.ca 

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